L’annonce récente (11 juin 2019) d’un accord de Roaming entre Proximus (Belgique) et Objenious (Bouygues Telecom – France), sur l’utilisation du réseau public LORAWAN des 2 opérateurs, est l’opportunité d’analyser la problématique d’une couverture de communication globale pour les objets connectés.
Dans cet article, nous passons en revue les différents réseaux LPWAN disponibles en Europe, et analysons les options pour une couverture globale (multi-nationale) aujourd’hui, dans un avenir proche et plus lointain.
LPWAN en quelques mots
Les réseaux LPWAN – ou encore Low Power Wide Area Network -, sont une des raisons de l’expansion rapide de l’Internet des Objets. Ils permettent une communication de petites quantités de données, à grande distance, tout en consommant peu d’énergie. Au final, les réseaux LPWAN permettent de disposer de petits capteurs, bon marchés, fonctionnant jusqu’à 10-15 ans sur batterie.
Une couverture LPWAN transnationale. Nécessaire ?
Parmi les cas d’usages populaires de l’Internet des Objets aujourd’hui, on retrouve notamment le smart metering (eau, gaz, énergie, machines…) et la logistique (suivi de livraisons, chaine du froid…). Mais aussi les applications dans le smart building ou les smart cities.
Si les applications dans le transport et la logistiques ont un besoin naturel d’une couverture globale – au minimum les pays limitrophes du point de départ -, on peut se demander quel est l’intérêt plus large pour des accords de roaming, comme annoncé récemment par Proximus et Bouygues. D’autres accords de roaming LORAWAN ont d’ailleurs déjà été annoncés dans le passé, comme entre KPN (Pays-Bas) et Orange (France).
Un réseau LPWAN global est intéressant, même si les objets qui y sont connectés, ne se déplacent pas !
Réseaux LPWAN - tour d’horizon des principaux acteurs…
Sur le marché Européen, 3 technologies de réseaux LPWAN dominent le marché. LORAWAN, SIGFOX et NB-IOT. Il faut noter que d’autres technologies existent, et sont activent dans d’autres régions du monde: Strij, Weightless, Ingenu, … Mais LORAWAN, SIGFOX et NB-IOT sont sans doute les technologies de référence aujourd’hui.
Couverture du réseau SigFox en Europe
Au delà des discussions techniques pour élire la meilleure technologie LPWAN – discussion que je laisse aux experts 😉 -, l’argument principal de SigFox est sa couverture géographique. 60 pays partiellement ou totalement couverts, soit 5 Million de KM2. Un seul réseau – mais aussi un seul opérateur -. Pas besoin d’accord de roaming, vu qu’il s’agit d’un seul et même réseau !

Couverture du réseau LORAWAN en Europe
De nombreux pays Européens ont vu des réseaux publics LORAWAN se déployer. Un opérateur en Belgique et au Luxembourg (Proximus), en Suisse (SwissCom) ou aux Pays-Bas (KPN). 2 Opérateurs LORAWAN en France (Orange et Bouygues) ou au Royaume Unis (Connexin et IOT Networks). 3 opérateurs publics en Allemagne (Digimondo, Minol Zenner, Netzikon). Et 4 opérateurs en Italie (A2A Smart City, Axatel, Telemar, Unidata) ! Profusion d’opérateurs LORAWAN en Europe. Mais la plupart de ces opérateurs ne sont pas inter-connectés. Difficile pour un capteur de passer d’un réseau à un autre.

Couverture du réseau NB-IOT en Europe
La technologie NB-IOT est la plus récente, et est en phase de déploiement un peu partout en Europe. Une réaction, pour une fois rapide, de la GSMA (association des Opérateurs Telecom) à la montée en puissance de la technologie LPWAN. Ces réseaux NB-IOT ne sont pas encore totalement déployés partout. Orange Belgique fut un des premiers à proposer une couverture nationale. On trouvera, comme pour LORAWAN, différents opérateurs NB-IOT dans chaque pays. De fait, la plupart des Opérateurs GSM actuels déploient NB-IOT et/ou LTE-Cat-M1.

Pourquoi avoir besoin d’une couverture globale LPWAN ?
Pour comprendre la complexité d’une couverture multi-nationale d’un réseau de type LORAWAN, il est nécessaire de comprendre comment cette technologie fonctionne. Un capteur LORAWAN ou SIGFOX ne communique pas avec un protocol “Internet” (TCP-IP). LORAWAN et SIGFOX sont 2 technologies de communications fonctionnant sur le bande de fréquence libre ISM. Le principe de fonctionnement est simple. Le capteur broadcaste ses données, qui sont collectées par des Gateways (Antenne), et agrégés par un Network Server. Depuis ce Network Server, l’application finale récupère les données, en général via Internet (Web Services, MQTT, Web Sockets).
Pour communiquer avec un capteur LORAWAN ou SIGFOX, il faut donc réaliser une intégration avec le Network Server de l’opérateur réseau

Besoins fonctionnels liés au cas d’usage IOT
Fleet Management et Asset Tracking sont le cas d’usage principaux du M2M (Machine-To-Machine), l’ancien nom donné à l’IOT aujourd’hui. Toutes les applications liées à la géolocalisation de biens ou de personnes restent une des principales verticales de l’Internet des Objets. Transport, Logistique… Et bien entendu, dans ce domaine, difficile de se passer d’une couverture de réseau IOT internationale !
Problématique contractuelle d’une utilisation Internationale LORAWAN
Une autre dimension à considérer, qui peut sembler secondaire, mais qui ne l’est pas du tout. C’est l’aspect contractuel. Dès qu’une entreprise souhaite déployer des objets connectés dans plusieurs pays, même si ces objets sont statiques, elle doit négocier des contrats avec des opérateurs locaux. Conditions financières, Service Level Agreement, … Cela peut rapidement devenir un réel frein à un déploiement global, de part la disparité des offres et des solutions: prix, niveau de service, service de géolocalisation, provisionnement des capteurs…
Le roaming doit dès lors permettre, comme cela a été le cas en M2M, de négocier un seul contrat avec un opérateur proposant une couverture data internationale.
Problématique d’intégration technique internationale LORAWAN
A l’inverse de NB-IOT qui propose une connectivité “WEB » (protocol TCP ou UDP), SigFox et LORAWAN nécessite de récupérer les données des capteurs au travers d’un Network Server. Si SigFox dispose d’un réseau unique (et donc d’une intégration unique à leurs serveurs), le cas LORAWAN est bien plus complexe. Chaque opérateur propose ses APIs pour accéder aux données et interagir avec les capteurs. Au final, cela signifie potentiellement développer autant d’intégrations informatiques qu’il y a d’opérateurs différents dans les pays où l’on souhaite être actif. Un effort important, et un coût qui peut vite devenir prohibitif !
Le roaming LORAWAN doit permettre dès lors de ne réaliser qu’une seule intégration (dans son pays d’origine par exemple), et de pouvoir déployer ses capteurs à l’international…
Analyse de l’accord de Roaming entre Proximus et Bouygues (Objenious): LORAWAN Passive Roaming
Il faut savoir que ces 2 opérateurs ont construits leurs réseaux LORAWAN avec le même partenaire technologique pour le coeur de réseau – le LORAWAN Network Server -: Actility. Cela a sans doute facilité la mise en oeuvre technique du roaming.

Il existe plusieurs méthodes pour implémenter le roaming LORAWAN. « Hand-over roaming” et “Passive Roaming”. Le Hand-over roaming est la méthode qui se rapproche le plus du roaming avec son smartphone. Le capteur est connecté au réseau de l’Opérateur en roaming, mais la gestion reste chez l’opérateur domestique.Ce type de roaming nécessite des capteurs à la norme récente LORAWAN 1.1. Hors la plupart des capteurs LORAWAN actuellement déployés sont LORAWAN 1.0. Dès lors, on ne peut travailler qu’en Passive Roaming, disponible en 2 variantes: Stateful et Stateless: Pour le Stateful Passive Roaming, le réseau du pays d’origine doit autoriser tous les capteurs sur les réseaux Hôtes (soit des 100 de millions de demandes d’autorisation…). En Stateless Passive Roaming, tous les messages sont transmis depuis le Host local vers l’opérateur du pays d’origine. Soit une abondance de messages, sans savoir si les capteurs sont autorisés…
Le Passive Roaming LORAWAN, solution retenue par Proximus et Objenious, est clairement une solution transitoire, qui ne supportera pas la croissance exponentielle des déploiements de capteurs LORAWAN. Il représente malgré tout une première étape, nécessaire, au développement de projets trans-nationaux dans l’Internet des Objets.
SigFox et LORAWAN - La complexité des fréquences utilisées !
Alors que SigFox propose un réseau sur près de 60 pays, et que des accords de roaming sont conclus entre opérateurs LORAWAN, on est encore loin du rêve d’une couverture mondiale pour l’Internet des Objets. La barrière est liée à la bande des fréquences utilisées: la bande de fréquence libre ISM (Instruments, Scientific, Medical). En effet, les bandes de fréquences allouées ne sont pas les mêmes dans toutes les régions du monde. 863-868 Mhz en Europe. 915 MHz aux Etats-Unis et Amérique du Sud. Et 923 MHz en Asie. Cela reste, à l’heure actuelle, une contrainte majeure, car la plupart des capteurs sont configurés pour communiquer sur une seule bande de fréquence. Impossible dès lors de les faire fonctionner, en roaming, dans le monde entier ! Cette contrainte s’applique aussi bien à SigFox que LORAWAN.
Mais alors, SigFox est la meilleure option?
Si l’on pourrait conclure, à la lecture de cet article, que SigFox propose la meilleure solution, il faut néanmoins relativiser. SigFox est un opérateur unique. Dès lors, si le pays n’est pas couvert par SigFox, il ne sera pas possible d’utiliser des capteurs SigFox localement. De plus, les entreprises aiment avoir le choix, et pouvoir faire jouer la concurrence. Avec SigFox, pas de concurrence. Un seul opérateur, qui décide des prix (et de son évolution), du niveau de service, des fonctionnalités proposées.. Avec le risque, en cas de défaillance de SigFox, de voir disparaître l’ensemble du service. A l’heure actuelle, SigFox n’est toujours pas une entreprise rentable… Nous avons entendu parler de gros projets de déploiements Smart Cities, où SigFox n’a pas été retenu, suite au manque de visibilité sur le très long terme (15-20 ans).
Et si l’avenir des réseaux LPWAN passait par le Satellite ?!
Cela peut sembler étonnant. Et pourtant plusieurs consortiums se sont constitués et travaillent sur une communication bas débit, faiblement consommatrice en énergie via des satellites. L’objectif premier: les zones peu peuplées, où il est économiquement impossible de déployer un réseau d’antennes LORAWAN, SigFox, 4G (NB-IOT…). On pense aux régions désertiques, en Afrique, à la Sibérie, etc.
Un exemple parmi d’autres: Lacuna Space travaille, en partenariat avec Semtech (le concepteur de la technologie LORA) , au développement d’un LORA-based Space Gateway, déjà déployé en orbite avec EMISAT, avec des tests concluants en Afrique du Sud, Pays-Bas, Japon, Slovénie, Inde et Ile de la Réunion. L’idée est ici que le capteur LORAWAN pourrait directement communiquer avec un Gateway LORAN, non plus installé sur un mat terrestre, mais placé sur une constellation de satellite en orbite basse.

Quelques exemples d’autres projets:
- SigFox a signé une alliance avec EutelSat en 2018, pour le déploiement d’un réseau de nano-satellites.
- La Chine prévoit de lancer 72 nano-satellites pour l’Internet des Objets
- La Russie va déployer des satellites Gonets-2 dans le même but
- Objenious (Bouygues Telecom) s’est associé avec Kinéis dans le même but
Si certains projets prévoient une communication satellitaire spécifique pour l’IOT, d’autres envisagent de supporter directement LORAWAN dans une communication au travers d’un Satellite en orbite basse. Affaire à suivre…